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La loi du 28 avril 2022 portant le Livre V « Les obligations » du Code civil est entrée en vigueur le 1er janvier 2023. Véritables bouleversements ou simple clarification/restructuration du droit antérieur ?

Voyons, concrètement, ce qui change.

La structure

Tout d’abord, la structure de l’ancien Code civil, souvent critiquée, a été profondément revue.

Désormais, le Livre 5 se divise comme suit :

  • Le titre 1 se rapporte aux dispositions introductives (articles 5.1 à 5.3) ;
  • Le titre 2 est consacré aux sources d’obligations, à savoir les actes juridiques (sous-titre 1er : articles 5.4 à 5.126) et les faits juridiques (sous-titre 2 : articles 5.127 à 5.137) ;
  • Le titre 3, qui traite du régime général de l’obligation, est quant à lui subdivisé en huit sous-titres : « disposition introductive » (article 5.138), « les modalités de l’obligation » (articles 5.139 à 5.155), « les obligations avec pluralité d’objets ou de sujets » (articles 5.156 à 5.173), « la transmission des obligations » (articles 5.174 à 5.193), « l’exécution de l’obligation » (articles 5.194 à 5.223), « l’inexécution de l’obligation » (articles 5.224 à 5.241), « les mesures de sauvegarde des droits du créancier » (articles 5.242 à 5.243) et enfin « les causes d’extinction de l’obligation » (articles 5.244 à 5.270).

Le droit transitoire

Selon, l’article 64 de la loi portant le Livre, « Les dispositions du livre 5 du Code civil s’appliquent aux actes juridiques et aux faits juridiques survenus après l’entrée en vigueur de la présente lo »i.

L’alinéa 2 précise toutefois que « Sauf accord contraire des parties, elles ne s’appliquent pas et les règles antérieures demeurent applicables:

1° aux effets futurs des actes juridiques et faits juridiques survenus avant l’entrée en vigueur de la présente loi;

2° par dérogation à l’alinéa 1er, aux actes juridiques et aux faits juridiques survenus après l’entrée en vigueur de la présente loi qui se rapportent à une obligation née d’un acte juridique ou d’un fait juridique survenu avant l’entrée en vigueur de la présente loi ».

Cette disposition déroge donc aux règles ordinaires du droit transitoire, ceci afin de garantir une sécurité juridique maximale. En effet, outre que cette disposition prévoit que le Livre V s’applique à l’avenir, c’est-à-dire aux actes juridiques et aux faits juridiques survenus après le 1er janvier 2023, elle dispose également que le droit antérieur demeure applicable – sauf accord des parties (ce qui signifie que les parties peuvent convenir d’une application immédiate du Livre V) – aux effets futurs des actes et faits juridiques survenus avant l’entrée en vigueur de la loi, et ceux survenus après l’entrée en vigueur mais qui se rapportent à une obligation née d’un acte ou d’un fait juridique antérieur à cette entrée en vigueur.

Codification à droit constant et plus de clarté

L’objectif principal de cette réforme est d’assurer une plus grande accessibilité des règles du droit civil, principalement en y intégrant des règles dégagées par la doctrine et la jurisprudence au cours des deux derniers siècles, et à renforcer ainsi la sécurité juridique.

Autrement dit, l’objectif est d’opérer une « codification à droit constant ».

Qu’est-ce que cela signifie ? S’il existe un doute quant à la portée des nouvelles dispositions, il faut alors supposer qu’elles n’ont pas voulu innover par rapport aux anciennes règles, sauf si l’intention contraire ressort de manière claire. Ceci implique donc que les principes dégagés par la jurisprudence et la doctrine continueront à s’appliquer.

Les nouveautés importantes

  • introduction de la notion de contrat-cadre : L’article 5.9 définit désormais le contrat-cadre comme « un contrat par lequel les parties conviennent des principes généraux dans le cadre desquels elles concluront des contrats d’application ultérieurs ». L’article 5.71, quant à lui, dispose que « Sauf accord contraire des parties et pour autant que leur nature et leur portée s’y prêtent, les clauses d’un contrat-cadre régissent aussi les contrats d’application ».
  • Conditions générales – prise de connaissance effective et confirmation de la règle du knock-out : L’article 5.23, alinéa 1er dispose désormais que « L’inclusion des conditions générales d’une partie dans le contrat requiert leur connaissance effective par l’autre partie ou, à tout le moins, la possibilité pour celle-ci d’en prendre effectivement connaissance, ainsi que leur acceptation ». Il s’agit ici d’une consécration de la jurisprudence de la Cour de cassation aux termes de laquelle l’inclusion des conditions générales d’une partie dans le contrat suppose non seulement leur acceptation par l’autre partie, mais également « leur connaissance effective par l’autre partie ou, à tout le moins, la possibilité pour celle-ci d’en prendre effectivement connaissance » avant la conclusion du contrat. Ni le simple renvoi dans le contrat à des conditions générales non communiquées, ni le renvoi via un hyperlien mais qui s’avère défectueux, ni le fait d’indiquer que les conditions générales sont disponibles sur demande, ni la qualité de commerçante (ou d’entreprise) d’une partie, ne suffisent donc à les inclure dans le champ contractuel.

Les alinéas 2 et 3, quant à eux, consacre la règle du Knock-out, selon laquelle le contrat est formé même si l’offre et l’acceptation renvoient à des conditions générales différentes, sauf les dispositions incompatibles.

  • Rupture intempestive des négociations contractuelles – indemnisation du manque à gagner sur le contrat non conclu : En vertu de l’article 5.17, en cas de rupture fautive des négociations dans le chef d’une des parties, celle-ci engage sa responsabilité envers l’autre. Si, en outre, elle a créé une attente légitime chez l’autre partie qu’un contrat serait conclu sans aucun doute, elle peut être condamnée à réparer l’intérêt contractuel négatif (les coûts encourus) mais aussi positif (les bénéfices nets attendus du contrat non conclu).
  • Changement de circonstances – Théorie de l’imprévision : L’article 5.74 constitue, sans nul doute, la plus grande nouveauté du Livre V. Rappelons que, jusqu’alors, la théorie de l’imprévision – désormais appelée le « changement de circonstances » n’était pas admise en droit belge. Cette disposition stipule que :

« Chaque partie doit exécuter ses obligations quand bien même l’exécution en serait devenue plus onéreuse, soit que le coût de l’exécution ait augmenté, soit que la valeur de la contre-prestation ait diminué.

Toutefois, le débiteur peut demander au créancier de renégocier le contrat en vue de l’adapter ou d’y mettre fin lorsque les conditions suivantes sont réunies:

1° un changement de circonstances rend excessivement onéreuse l’exécution du contrat de sorte qu’on ne puisse raisonnablement l’exiger;

2° ce changement était imprévisible lors de la conclusion du contrat;

3° ce changement n’est pas imputable au sens de l’article 5.225 au débiteur;

4° le débiteur n’a pas assumé ce risque; et

5° la loi ou le contrat n’exclut pas cette possibilité.

Les parties continuent à exécuter leurs obligations pendant la durée des renégociations.

En cas de refus ou d’échec des renégociations dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande de l’une ou l’autre des parties, adapter le contrat afin de le mettre en conformité avec ce que les parties auraient raisonnablement convenu au moment de la conclusion du contrat si elles avaient tenu compte du changement de circonstances, ou mettre fin au contrat en tout ou en partie à une date qui ne peut être antérieure au changement de circonstances et selon des modalités fixées par le juge. L’action est formée et instruite selon les formes du référé ».

Qu’en retenir ?

  • Le seul fait que les circonstances aient évolué depuis la conclusion du contrat, et qu’elles rendent l’exécution de celui-ci moins favorable pour l’une des parties, n’autorise pas celle-ci à s’exonérer ou à imposer la renégociation ;
  • La révision du contrat pour cause d’imprévision – ou plus précisément de changement de circonstances – ne peut se faire que dans les conditions fixées à l’aliéna 2. Les travaux préparatoires n’apportent pas de réponse quant à la portée de ces conditions, en sorte qu’il faut se retourner vers les instruments internationaux et le droit comparé, dans l’attente du développement de la jurisprudence ;
  • Si les conditions sont remplies, le débiteur peut demander au créancier de renégocier le contrat en vue de l’adapter ou d’y mettre fin. Pendant ces négociations, le contrat garde sa force obligatoire ;
  • En cas d’échec des négociations dans un délai raisonnable, le juge dispose du pouvoir d’adapter le contrat tout en veillant de conserver l’équilibre trouvé par les parties au moment de la conclusion du contrat, ou, à défaut, si une telle adaptation était impossible parce qu’elle n’aurait jamais pu recueillir l’accord des parties lors de la conclusion du contrat, de mettre fin en tout ou en partie au contrat.
  • Interdiction des clauses abusives : L’article 5.52 introduit en droit belge des obligations une innovation importante sous la forme d’une interdiction générale des clauses abusives. L’alinéa 1er dispose ainsi que « toute clause non négociable et qui crée un déséquilibre manifeste entre les droits et obligations des parties est abusive et réputée non écrite ». À la différence des réglementations B2C et B2B, l’interdiction de droit commun s’applique uniquement aux clauses qui n’ont pas pu être négociées entre les parties en raison de la position de force qu’occupait l’une d’elles dans la négociation.
  • La clause pénale devient la clause indemnitaire : Selon, l’article 5.88, § 1er, « les parties peuvent convenir à l’avance qu’en cas d’inexécution imputable, le débiteur est tenu, à titre de réparation, au paiement d’un montant forfaitaire ou à la fourniture d’une prestation déterminée. Dans ce cas, il ne peut être alloué à l’autre partie une réparation plus élevée, ni plus basse ». Il est donc permis aux parties de fixer par avance, de manière forfaitaire, l’étendue de la réparation due en cas d’inexécution imputable du contrat. Le caractère forfaitaire de la réparation implique que « le créancier ne doit prouver ni l’existence, ni l’ampleur de son dommage ». La réparation garde toutefois un caractère optionnel, et le créancier a toujours le choix d’exiger l’exécution de l’obligation en nature plutôt que de se prévaloir de la clause indemnitaire stipulée (article 5.83). Notons que le juge garde son pouvoir de réduire la clause indemnitaire, d’office ou à la demande du débiteur, si celle-ci est manifestement déraisonnable.
  • Clause exonératoire de responsabilité : L’article 5.89 confirme la validité des clauses exonératoires de responsabilité, c’est-à-dire toute « clause exonérant le débiteur, en tout ou en partie, de sa responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ». La possibilité de s’exonérer de la faute lourde est confirmée, tant en ce qui concerne la faute commise par le débiteur lui-même que par « une personne dont il répond ». En revanche, certaines clauses exonératoires sont réputées non-écrites. C’est notamment le cas de la faute intentionnelle du débiteur ou la faute commise qui cause une atteinte à la vie ou à l’intégrité physique d’une personne. Enfin, notons que « si le débiteur fait appel à des auxiliaires pour l’exécution du contrat, ceux-ci peuvent invoquer contre le créancier principal la clause d’exonération de responsabilité convenue entre celui-ci et le débiteur ».

Source

R. Jafferali, La réforme du droit des contrats. Les principales nouveautés, Journal des
tribunaux, 2023/2-3, n° 6924 – 14 janvier 2023